lundi 26 décembre 2011

Andrée Laurier nous entraîne dans le rêve

Quand j’aborde un texte d’Andrée Laurier, je sais que je prends le risque de perdre mes repères. Encore une fois, je me suis laisser entraîner par les phrases voluptueuses de cette écrivaine. Dans «Avant les sables», elles viennent comme les belles déferlantes des marées d’automne qui sont souvent dangereuses. Encore un monde feutré, en marge du temps. J’avoue avoir résisté un peu, être revenu sur mes pas pour trouver une direction.


«De son appartement, elle les avait souvent regardés à la verrière du café en face de chez elle. Ils étaient experts en attente; s’asseyaient parfois à la même table, mais ne semblaient jamais se parler. Le jeune homme se nommerait Yacek et la jeune femme, Alba. Il était brun, grand, fuselé; elle, miel, fine et vive.» (p.7)
Myriam, une beauté qui effarouche les hommes, vit en marge de la société et de son époque. Vivre est un bien grand mot. Affligée par la grâce et la délicatesse, elle s’étiole comme une chenille dans son alcôve. Cette belle au bois dormant attire Yacek et Alba. Ils se faufileront dans son appartement et s’installeront dans sa vie. Il faudra plus qu’un baiser cependant pour réveiller celle qui se meurt peu à peu.
«Alba ne comprit pas d’abord. Mais saisit l’album et le tint, puis l’ouvrit. Myriam, à côté d’elle, se tut, regarda ce qui était sur les genoux d’Alba. Voir l’album importait. Plus que la conversation. Avoir Myriam si près d’elle était inhabituel, un peu inconfortable. Normalement, son hôtesse s’asseyait en face, et jamais aussi près, même pas pour le café, dont elle ne sirotait qu’un fond de tasse, d’ailleurs. Il fallait que Myriam aussi trouve des clés pour survivre. Et l’une des premières était la ciselante, l’aveuglante étendue de ce qu’elle aimerait maintenant.» (p.16)

Triangle

Alba partage les lieux avec Myriam et Yacek y débarque à tous les jours. Un triangle se forme où chacun se cherche, s’attire et se repousse.
«Le buste penché de Myriam B. Gers, sur sa peau un fin tissu crème, le sang perlant à sa gorge, son front vers Alba: c’est l’image que devait retenir Yacek de sa seconde et brève visite. L’instant après la larme. Six minutes quinze après le chat du voisin. Quand Myriam tentait de préserver sa camisole. Yacek vit cet instant tarabiscoté arriver entre les deux femmes, ravala sa salive, resta immobile. Il ne voulut pas défaire ce moment dont il se croyait un peu à l’origine, par respect pour la pudeur qui entourait le mouvement des femmes se libérant de griffes; il se contenta de l’image qui l’accompagnerait jusque dans la nuit et il partit en laissant tourner son offrande au salon, des violons tsiganes sur un disque de vinyle rutilant. Les trois n’échangèrent pas un mot.» (p.35)
Ils se respirent d’abord, se sentent et s’effleurent. Myriam aspirée par la mort ne quitte plus sa chambre. Alba et Yacek finiront par l’arracher au gouffre. La belle reprend vie et savoure le temps perdu. Elle a tout à apprendre. L’aventure, le voyage, la découverte et tout ce qui fait la vie.
Le trio, après une période d’osmose et d’amour, se disloque. Myriam part pour le lointain tout en gardant un lien avec ceux qui ont réussi à la ramener à la vie. Elle ne peut les oublier mais doit risquer, expérimenter pour être et aimer. Alba et Yacek se replient dans l’attente, prisonniers à leur tour de cette absence.

Sensualité
 
Touchers, regards, caresses lentes et douces. Voilà un texte d’une belle sensualité.
Une écriture suggestive qui ouvre un univers proche du conte que nous connaissons pour le transformer. Cette femme étrange qu’est Myriam vit comme les fleurs en pots que le manque de lumière et d’eau dessèche. Il faut la complicité, la camaraderie, le partage et la fusion pour l’arracher au mythe qui tue.
On y retrouve la fascination d’Andrée Laurier pour le voyage qui marque ses œuvres, l’attrait du désert qui porte «Mer intérieure», un magnifique roman. Les pays où le sable esquisse le possible et titille l’imaginaire fascine cette écrivaine.
Suivre Madame Laurier, c’est vivre une aventure qui vous plonge souvent dans les volutes du rêve. Tout risquer comme dans son roman «Le romanef» qui vous entraîne sur un navire qui n’arrive plus à trouver son port d’attache.

«Avant les sables» d’Andrée Laurier est paru chez Lévesque Éditeur.

http://www.levesqueediteur.com/laurier.php