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mercredi 10 avril 2024

LA MERVEILLEUSE AVENTURE DU QUOTIDIEN

UN AUTRE Donald Alarie est toujours un bonheur. Trente et un courts textes cette fois qui nous entraînent dans le grand et petit monde de cet écrivain qui se veut un fin observateur de la société et des gens qu’il croise. Il suffit de s’attarder à quelques-uns des titres qui coiffent ses nouvelles pour comprendre la direction qu’il prend. Rencontre, Cauchemar, La liseuse, Trop, Abandon, Crainte. Un seul se démarque dans cette liste. Il survient à la fin du recueil et porte le nom d’une femme : Claire.

 

Donald Alarie continue son exploration contre vents et marées. Une forme de méditation, d’arrêt. J’ai toujours l’impression de retenir ma respiration, de gonfler la poitrine et de me laisser aller à la fin de son texte. Tout l’intéresse, tout le fascine. Il parcourt la ville et entre deux pas ou deux gestes, un regard, un marcheur qu’il croise et qui semble perdu dans ses pensées, et le voilà en train d’échafauder une courte histoire. Tout lui sert. Un lieu évoque un homme ou une femme et je l’imagine devant sa table de travail, un peu rêveur, inventant des scénarios comme tous les écrivains le font quand ils s’adonnent à leur passion. Peut-être que je fabule. Il est tout simplement attentif aux événements qui surgissent dans sa journée et qui peuvent devenir un sujet de nouvelle. Il y a toujours une petite merveille sous les cailloux que retourne Donald Alarie.

 

«Lorsque je rencontre quelqu’un, je me prépare habituellement à le saluer. Si je constate que la personne m’ignore, je retiens mes salutations, bien entendu. Je me dis qu’il y a des gens plus réservés, plus introvertis, qui se sentent mal à l’aise de saluer des inconnus.

Par contre, certains individus ne m’inspirent pas du tout l’envie de leur parler. J’ai l’impression, sans même les connaître, que nous n’avons rien à nous dire. Leurs vêtements ou leur démarche me mettent dans cet état d’esprit. Ou un tatouage trop en évidence.» (p.19)

 

Voilà tout l’art de cet écrivain. Un va-et-vient entre sa pensée et le monde ambiant, le mouvement de l’extérieur vers l’intérieur ou simplement le contraire, «le plus important dans la vie», affirme Frédérique Bernier dans Chimères. Rien de fracassant, je me répète, mais des touches délicates, un travail d’aquarelliste, une manière de traquer des événements qui bouleversent ou font sourire. La mort d’un proche par exemple, ou un incident qui change tout et qui brise un couple que l’on croyait indestructible. Tout ça en douceur, avec une empathie pour l’autre qu’il ne bousculera jamais par un geste ou une parole qu’il ne sent pas désirés par ce vis-à-vis.

Je pense que Donald Alarie vit beaucoup dans sa tête et qu’il aime échafauder des histoires à partir des petits riens qui parsèment sa vie. Un détail capte son attention et il continue sa promenade en ressassant un bout de phrase ou un court poème qui le suit depuis qu’il a refermé la porte de sa maison. Je ne sais trop pourquoi, peut-être à cause de ses publications antérieures, je le vois toujours en train d’arpenter la ville.

C’est surtout un fin observateur des humains qu’il aime surprendre dans leur quotidien, des événements qui transforment leur vie ou encore dans des occasions ratées. Des moments troubles aussi. Il croise une femme qui le prend dans ses bras et qui l’attire. Il apprendra plus tard qu’elle a des problèmes de mémoire. Il s’infiltre parmi les gens à la manière d’un vent très doux que l’on oublie, mais qui vient rafraîchir quand le soleil se montre un peu trop insistant.  

Je m’attarde à la nouvelle Rire ou pleurer. Une tablette se détache d’un mur, emportant des assiettes. Tout est fracassé. Lise aimait ces couverts qui faisaient partie de son héritage. Un simple incident pour Marion. 

 

«Même dans les jours suivants, Marion ne comprit pas la réaction de Lise. Elle ne voyait pas le caractère dramatique de l’événement. Et Lise ne comprit pas pourquoi son amie ne faisait pas preuve de plus de compassion à son égard. Ce genre d’accident est-il suffisant pour provoquer la rupture d’un couple? On pourrait répondre par la négative. Et pourtant, c’est ce qui se produisit dans les semaines suivantes.» (p.32)

 

Donald Alarie connaît le pouvoir des mots qui peuvent être à la fois si apaisants et si agréables à entendre et capables aussi de tout transformer. Tout est si fragile, si éphémère. Il suffit de si peu pour que tout s’écroule. 

 


HUMOUR

 

Il ne faut jamais oublier l’humour d’Alarie. Tout en subtilité et dans un détail ou un simple signe. C’est tout l’art de cet écrivain. La vie est comme de la porcelaine que l’on doit manier avec le plus grand soin dans l’univers de cet auteur. Il suffit de si peu pour que tout s’effrite. 

Donald Alarie a le don de déceler des mailles qui s’effilochent dans un gilet, un mot qui prend un sens différent, un geste qui est là, de trop souvent ou que l’on a retenu. Tout est toujours important dans nos relations avec les amis et le monde qui nous entoure. Tout nous touche, qu’on le veuille ou non, contribue à être ce que nous sommes avec les autres qui changent à notre contact comme nous nous transformons en les fréquentant. Une merveilleuse aventure que de s’avancer dans l’univers de cet écrivain.

 

TRAGÉDIE

 

Si Donald Alarie est sensible aux petites choses de la vie, il ne faudrait pas penser qu’il est immunisé contre les drames et les maladies qui viennent tout bouleverser. La mort d’une conjointe crée un vide terrible et transforme la réalité et des habitudes. Comme si tout se détraquait quand on perd un être aimé.

 

«Il se laissa aller, comme on dit. Il refusa les rôles qu’on lui proposait. Lui qui était toujours bien mis circulait maintenant vêtu comme un clochard. 

Un soir en revenant chez lui, il sentit une douleur aiguë au niveau de la poitrine. Il s’apprêtait à monter l’escalier, mais il n’y parvint pas. Il s’effondra. C’est un voisin qui le trouva, étendu par terre. Devant sa maison. Mort. 

Il mourut un an après Marthe. À quelques jours près. Au même endroit.» (p.91)

 

Un scénario improbable que la réalité nous réserve et qui peut, souvent, nous sembler tirer tout droit d’un film d’Hollywood. La vie est ça aussi et l’auteur sait si bien nous y plonger, avec ses miniatures.

Heureusement, Donald Alarie aborde la vie de façon plutôt positive et ses nouvelles peuvent toucher un peu tout le monde. Rien de compliqué, sinon toutes les surprises des jours et des nuits. L’amour, la vie des couples, une séparation, un froid dans une complicité que l’on croyait à l’abri de tout, le vieillissement (qui peut échapper à cette fatalité) et tout ce qui peut nous heurter ou nous bouleverser quand on fait le métier d’être vivant. 

C’est ce qui me fascine chez cet écrivain. Il m’accompagne, je dirais. Il me guide sans que je prenne vraiment conscience de son intention et de son empathie. Il se fait un formidable recenseur du quotidien. J’ai l’impression qu’il me prend par la main pour m’empêcher de glisser sur une plaque de glace comme on le ferait avec un ami proche ou sa compagne. Quels moments précieux que de lire les courts textes de cet écrivain qui manie les mots avec une justesse et une habileté rares!

 

ALARIE DONALD : Tous ces gens que l’on croise, Éditions de La Pleine Lune, Montréal, 136 pages.

https://www.pleinelune.qc.ca/titre/681/tous-ces-gens-que-lon-croise

jeudi 30 septembre 2021

LE GRAND PETIT MONDE DE DONALD ALARIE

CERTAINS MOMENTS marquent l’imaginaire et s’incrustent dans la mémoire. Telle une scène extirpée d’un film, elle est là quand vous fermez les yeux et que vous faites l’effort d’évoquer les premières images de votre vie. Donald Alarie retrouve l’un de ces instants précieux dans Sa valise ne contient qu’un seul souvenir, une longue nouvelle qui nous entraîne dans l’enfance d’un petit garçon, un après-midi d’automne un peu sombre avec de fortes averses. Une belle lumière tamisée. Le jeune solitaire s’amuse avec des autos miniatures, s’invente des courses et des accidents dans le couloir de la maison de ses parents. Et un homme surgit sous la véranda, près de la porte d’en avant, pour se protéger de l’orage. Cet événement marquera de façon indélébile sa vie. Adulte, il ne peut s’empêcher de revenir à cette scène, et à la transformer selon les jours. Voilà le point de départ d’un grand voyage qui peut prendre toutes les directions.


Je pense souvent à ce premier souvenir, encore là dans ma tête. Je ne vais pas à l’école. C’est l’hiver. La neige gonfle et cerne les bâtiments de la ferme familiale. Il fait froid, juste ce qu’il faut. Tout est blanc, aveuglant avec un soleil qui secoue la dernière tempête toute bleue dans les plis des falaises. Je suis à côté de mon père, sur la «sleight» tirée par le cheval. L’animal avance, lentement, prenant son temps et mon père le laisse aller à son rythme. Je suis hypnotisé par les pattes de la bête qui se posent dans les empreintes d'avant. Une sorte de danse, de poussée, de mouvement perpétuel. Les chevaux savent la neige profonde et mettent les sabots exactement où il le faut pour ne pas enfoncer. 

Nous nous laissons entraîner, sans un mot, avec seulement nos respirations pour dire que nous sommes vivants. Et parfois, le bruit du frottement des patins de la «sleight» dans un gonflement du terrain. Nous traversons le pays derrière l’étable. Il a la dimension du monde. Nous descendons dans les écores de la rivière aux Dorés pour nous faufiler dans la forêt, au bout des champs, dans les contreforts des montagnes. J’ai l’impression de voir un film qui n’en finit plus. Pas une parole, pas un geste, juste le cheval qui affronte l’hiver. Un moment précis comme une image tirée du Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote.

J’évoque souvent cette scène dans Les revenants, mon plus récent roman, parce que c’est l’assise de ma mémoire. Comme un mot tout en haut d’une page qui lance l'histoire. Comme si c’était ma vie qui s’impose dans un tremblement. Moi, mon père, tous les deux dans l’incipit d’un beau livre qui prend les dimensions de la paroisse et va buter contre les flancs de la montagne. Le grand petit monde de ma famille, de mon passé que je ne cesse d’explorer dans mes romans et mes récits. Donald Alarie emprunte un même chemin.

 

Il doit sans cesse y revenir. C’est comme un tableau ancien qu’il doit revoir, un moment d’existence sauvé de l’oubli. Sans cela, la suite serait pour lui dénuée d’intérêt. Sans ce retour en arrière, sans ce coup d’œil dans l’immense rétroviseur de la vie, le présent n’aurait aucun sens. Et le futur encore moins. Ce serait comme marcher avec un clou rouillé planté dans le pied à jamais et essayer de s’y complaire. (p.11)

 

Le narrateur reviendra souvent à cet après-midi, aux jeux, aux autos offertes par le grand-père, à l’homme sous la véranda. Par petites touches, tels les reflets dans la vitre de la porte, Donald Alarie reconstitue la vie de l’enfant. Ce qui importe, c’est ce moment, cette scène, ce big bang existentiel qui fait qu’il y a un avant, un présent et un avenir. 

 

Tout est à dire, tout est à reformuler. Comment raconter le passé sans tomber dans la fiction? Quelqu’un saura-t-il écouter? Les oreilles tendues, la langue au repos, le corps bien disposé. Un réceptacle presque sacré pour une histoire de jadis, reprise et abandonnée plusieurs fois. Cris et balbutiements d’une âme en détresse. (p.19)

 

Pourquoi un moment précis s’incruste dans la mémoire et pas un autre. L’événement n’est pas triste, il est même joyeux. Mais il y a cette hésitation, comme si le cœur oubliait de battre et que tout s’arrête. 

 

IMAGINAIRE

 

L'enfant invente des courses d’automobiles, des accidents qui font des blessés et des victimes. Le jeune garçon jongle avec la vie et la mort. Et ce marcheur, ce «survenant» sur la galerie fait trembler le sol. Comme si son monde était mis en joue par cet homme qui sourit, le regarde et puis s’éloigne. 

La carrière d’un écrivain s’amorce. Une journée sombre et ce passant qui menace l’équilibre fragile entre la mère et la grand-mère. Nous aurons souvent des moments semblables dans les romans et les nouvelles de Donald Alarie. C’est le socle qui soutient tout l’édifice de sa fiction et de sa vie imaginaire. 

 

Mais il n’oubliera jamais malgré tout le couloir sombre de fin d’après-midi. Même dans la cérémonie des mots, il se souviendra de tout. Que ce soit devant la page blanche ou devant l’écran, les lettres au bout des doigts, il n’oubliera rien. Quelques moments d’embellie seront pour lui une fête. (p.27)

 

À partir de là, l’écrivain évoque le grand-père qui adore son petit-fils, le père enseignant, la mère et la grand-mère qui se surveillent en silence. Bien sûr, l’enfant n’est pas conscient des grands et petits conflits qui règnent entre ses parents et ses grands-parents. Il ne sait pas non plus que sa mère reconnaît le réfugié de la véranda. Un amour d’adolescente provoque un sourire chez elle. Cet homme lui a fait connaître des caresses et le plaisir avant son mariage et l’arrivée du jeune garçon. Un battement des paupières et tout un monde s’avance.

 

ÉVOCATION

 

Donald Alarie, comme à son habitude, s’approche sur le bout des pieds, avec les ombres qui suivront son personnage toute sa vie. Rien n’est jamais précis et définitif. Voilà un espace où l’imaginaire prend son élan. 

 

Jusqu’à la fin de ses jours, il se souviendra de ce moment vécu à l’ombre des deux femmes. Un moment de grande tension. Mais la vérité jamais révélée. (p.56)

 

Avec Donald Alarie, c’est l’évocation du réel et du non-dit, les petites touches dans un tableau impressionniste, le soupir, une direction suggérée au lecteur. Un fait anodin, une hésitation, un mot ou un sourire peut éviter le drame ou la catastrophe. Et c’est une existence qui déboule. Tout est si fragile dans l’univers de cet écrivain, en équilibre entre le bonheur paisible et l’ailleurs menaçant. Comme si Alarie se faufilait entre deux secondes pour ralentir le temps. Alors, un battement des paupières peut faire tout s’écrouler. La vie n’est possible que grâce à cette attente, ce souffle qui retient le glissement. Vivre, c’est peut-être respirer dans un monde de cristal qui risque de s’effondrer à tout moment. 

 

L’alcool est une clé rare qui ouvre toutes les portes. Il prête l’oreille à ce qui se dit. Il est devenu le confident du soir et de la nuit, l’ami jamais rencontré, le frère rêvé recherché par tous. Envahi par la vie des autres, il a parfois l’impression d’en ressortir grandi, enrichi, moins seul. (p.73)

 

Voilà l’écrivain qui écoute, regarde, traduit un monde qui le heurte et l’apaise, le pousse dans la solitude au milieu des rires et des plaisanteries. 

J’aime Donald Alarie, ses histoires feutrées et un peu inquiétantes. Comme une rivière qui coule dans une belle lenteur, dissimulant les abysses qui peuvent tout happer. Le travail de l’auteur est de se faufiler dans ce monde en évitant les pièges et les catastrophes. C’est un art subtil qui ne retient jamais le lecteur pressé.

Les récits de Donald Alarie me font penser aux fourmis charpentières qui s’inventent des galeries dans un arbre, sous l’écorce, restant parfaitement invisibles. Tout semble normal, mais elles provoquent le drame, la mort du géant. Il faut de l’attention pour aimer la musique de Donald Alarie qui est toujours là, en sourdine. Je tends l’oreille et me voilà dans un univers où chaque geste, chaque mot résonne comme l’appel de la sittelle qui peut se faire si discrète, ou encore l’envol du papillon dans une bouffée de chaleur au milieu de l’été. C’est la vie en soi et hors de soi, précieuse, un sourire ou une caresse à peine esquissés, un souffle de vent qui touche si peu la peau. 

 

ALARIE DONALDSa valise ne contient qu’un seul souvenir, Éditions LA PLEINE LUNE, Montréal, 2021, 19,95 $.

 

https://www.pleinelune.qc.ca/titre/585/sa-valise-ne-contient-quun-seul-souvenir

mardi 26 mars 2019

DONALD ALARIE EXPLORE SA VILLE

DONALD ALARIE, depuis son entrée en littérature, reste fidèle à la poésie tout en faisant des incursions du côté du roman, de la nouvelle et du récit. Il partage ainsi sa passion pour les mots entre plusieurs genres et, il faut le préciser, pour l’avoir suivi depuis 1980, ses débuts presque, il excelle en tout. Je ne sais comment, j’ai mis la main sur l’une de ses publications. Un hasard, une attirance pour un titre, les chemins de la lecture sont souvent étranges. Arpenteur du quotidien est son dixième ou onzième recueil de poésie à paraître aux Écrits des forges, maison fondée par le regretté Gatien Lapointe, un homme qui a marqué l’imaginaire avec son Ode au Saint-Laurent, ce long texte qui nous donnait le pays dans toutes ses grandeurs. « J’ai pris souffle dans le limon du fleuve » me résonne encore dans la tête et c’est certainement une découverte qui m’a poussé vers la publication de L’Octobre des Indiens.

Arpenter, dans le sens d’explorer un endroit pour en connaître la topographie, le relief et peut-être aussi pour s’y retrouver dans toutes les dimensions de son esprit. Un homme sillonne la ville, un parc en particulier, les rues chaque jour, devenant une ombre que plus personne ne remarque, un marcheur qu’on ne voit plus. Donald Alarie, pourtant, vibre, entend, surveille les lieux et les gens qu’il rencontre.

Le passant se console avec des miettes de rêves qui nourrissent sa flânerie.

Quelques souvenirs lui allègent le cœur, l’aident habituellement à traverser les saisons moins fraternelles sans trop balbutier.

Un banc public devient pour lui un havre de paix où se reposer.

Le vent dans les arbres ne le déçoit pas. (p.11)


Le point de vue de ce poème témoigne de la démarche de Donald Alarie. Le marcheur devient objet d’attention et sujet d’exploration. Ce n’est pas seulement la ville que nous allons découvrir par les yeux du narrateur, mais surtout ce que l’homme en mouvement ressent, ce qu’il éprouve et ce qu’un événement ou une rencontre provoque en lui. Les arbres, le vent, la pluie viennent le surprendre, permettent la montée des rêves et des souvenirs. Comme si quelqu’un surveillait le marcheur, parvenait à entendre ses pensées et ses réflexions.

EXPLORATEUR

Et le voilà qui part beau temps mauvais temps pour prendre le pouls de la ville et peut-être aussi surprendre les agitations des femmes et des hommes qui tournent dans leurs activités ou qui luttent avec le temps qui file. Il se tient en marge et n’a plus à courir du matin au soir pour « gagner sa vie ». Que je déteste cette expression. J’ai toujours eu du mal à penser que l’on devait gagner sa vie quand il suffit de la vivre tout simplement. Comme si respirer se calculait au montant d’argent que nous recevons pour effectuer un travail.
Et le voilà dans le vaste monde qui prend la dimension d’une ville. Les trottoirs usés par toutes les courses des humains le portent, les bruits connus et parfois exécrables, les édifices, les restaurants et les commerces. Le promeneur mesure le jour. Il est celui qui vient, celui qui va, celui qui voyage dans sa tête et traverse les rues pour mieux se surprendre.

De l’autocar tout neuf, descendent des marcheurs hésitants.

Des regards fatigués, devenus tout à coup presque joyeux, persistent malgré les tremblements.

Demain, il sera trop tard pour la chasse aux images.

Ils retiennent ce qu’ils peuvent. On ne leur en demande pas plus.

Le passé est sur le point de se déliter.

Le futur ne tient plus qu’à un fil. (p.21)

Des gens âgés descendent péniblement d’un autobus et cette scène anodine devient une aquarelle. Le passant baisse la tête pour revenir à soi, tenter de cerner ce qu’est la vie, le temps qui bondit, nous emporte et s’avère impitoyable pour tous. Des voyageurs s’accrochent à des sourires, au groupe pour voir si le corps peut encore suivre dans un moment d’oubli et effacer les marques qui font plier l’échine.
Notre arpenteur circule bien plus dans ses réflexions que dans la ville qu’il ne quitte guère. Ce n’est pas un marcheur qui recherche le bout de soi, carbure aux exploits qui permettent de gravir une montagne ou traverser des parcs sauvages. Il aime ses habitudes, a ses endroits de prédilection pour faire face à ses pensées et ses questionnements pour bousculer les heures qui filent sans jamais réussir à le retenir. Il va et vient, solitaire et silencieux, un peu distant, n’étant souvent qu’une oreille ou un regard, toujours à la recherche d’un instant qu’il laisse rebondir dans sa main comme une balle.

Le passant connaît bien le but ultime, mais il préfère l’oublier.

Il dit : je ne sais rien.

Chaque pas est un gain sur l’immobilité. Ça, il le sait.

Chaque pas est comme un mot sur le bout de la langue qui sort enfin au grand jour.

Une petite promenade peut devenir l’occasion d’une phrase, réussie ou même d’un paragraphe lourd de signification. (p.28)

Le passant jongle avec les mots, un bout d’histoire ou encore une image qu’il polit et peut insérer comme une brique dans l’ouvrage qu’il est en train de mijoter. Ce peut être une nouvelle ou une scène d’un roman. Les écrivains sont souvent des marcheurs qui vont et viennent dans des lieux familiers et dans leur texte. Il faut arpenter des phrases pour battre la cadence, garder le rythme qui permet de s’avancer dans l’espace d’un poème ou rencontrer un personnage. Tout comme le musicien qui accorde son instrument avant de se lancer dans l’interprétation d’une pièce de Debussy.
Je ne fais pas autrement quand je perds la route ou n’arrive plus à secouer le mot juste. Je pars souvent courir, skier ou marcher, pédaler l’été dans le parc de pointe Taillon et je trouve immanquablement la petite fenêtre, la porte par laquelle me faufiler.
Je pense à Gaston Miron qui « ruminait ses poèmes » et les reprenait sans cesse afin de les peaufiner jusqu’à ce que ça sonne parfaitement à l’oreille. Gilbert Langevin ne faisait pas autrement et savait ses poèmes par cœur et pouvait les réciter sans rien oublier. Il possédait une mémoire phénoménale que je lui enviais. Il faut le voir dans Paroles du Québec, émission réalisée par Télé-Québec en 1981. Il parle comme ça, naturellement, comme s’il découvrait les mots en même temps qu’il les dit.

EXPLORER

Donald Alarie aime les lieux connus et souvent fréquentés parce qu’ils lui permettent d’explorer les dimensions d’un projet d’écriture. Il lui faut ce mouvement, ce parcours dans la ville pour se rassurer, se retrouver au milieu des mots qu’il surprend comme des pigeons qui tournent sur les pavés, s'envolent pour revenir.

Deux vieillards, canne à la main, pieds fatigués dès le matin, sont prêts malgré tout à vivre jusqu’au soir.

Le parc s’éveille. Le passant s’en réjouit.

Et si ce n’était qu’un rêve ? (p.40)

Je ne sais pourquoi, je pense à Baudelaire, à son poème Une passante. Ce si beau texte que j’ai tenté d’apprendre par cœur sans y parvenir. J’ai une mémoire pleine de trous.

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Il va et vient dans l’agitation et les activités de la ville, se retrouve souvent devant un miroir où il surprend un individu qui lui ressemble étrangement.

Marcher est sa façon de commencer le monde. (p.51)

C’est ainsi que j’ai accompagné Donald Alarie dans ses promenades où il mesure le jour dans toute sa largeur et sa hauteur. J’ai tout fait pour ne pas le perturber. Je me suis fait discret, comme son ombre pour le suivre parce qu’il a du souffle et de l’endurance, me faufilant derrière des buissons pour l’entendre respirer et le voir pencher la tête, pour assister au jaillissement de l’écriture, aux oscillations de la pensée et de la réflexion.

Des pages de journal bousculées par le vent. Le monde est un visage froissé qui a mal voyagé.

Les catastrophes en d’autres lieux se multiplient.

La Terre n’est qu’un jouet fragile trop souvent confié à des mains sournoises.

Fermer les yeux n’est d’aucun secours. (p.64)

Et je pars sur mes skis, dévale la dune et glisse dans la blancheur du lac qui me fait toujours penser à une immense page que je dois réécrire sans cesse parce que le vent y efface toutes les empreintes nuit après nuit. C’est le travail de l’écrivain, c’est la tâche de Donald Alarie quand il s’éloigne dans les rues de la ville pour la sentir dans sa tête et dans ses jambes. Nous arpentons tous le quotidien, des lieux, des espaces pour respirer, voir en nous et en extraire des bouts de phrases qu’il faut polir avec la patience de l’orfèvre. Belles promenades avec Donald Alarie, un guide formidable. Des sujets que nous n’arrivons jamais à distancer et qui ne nous laisseront jamais en paix, surtout si on jongle avec les mots et des images qui peuvent muter en poème ou en nouvelles. Une réflexion, bien plus, une méditation sur la vie, la mort, le temps qui file devant soi et les souvenirs qui s’accrochent à nos talons. Une délicatesse, une finesse rare. C'est pourquoi j'aime Donald Alarie.


ARPENTEUR DU QUOTIDIEN, POÉSIE de DONALD ALARIE publiée aux ÉCRITS des FORGES, 2018, 78 pages, 15,00 $.

lundi 18 décembre 2017

DONALD ALARIE ME FAIT DU BIEN

DONALD ALARIE nous offre un chapelet de nouvelles, je ne sais si l’expression convient, qui épouse le parcours de sa vie. Dans Puis nous nous sommes perdus de vue, il raconte son enfance et son adolescence, évoque ses déménagements, des amis qu’il a perdus et retrouvés, des études et la découverte des livres et de la littérature. Une passion jamais assouvie que  celle de la lecture et que nous partageons. Quand j’ai pu emprunter quelques romans à la bibliothèque de l’école (nous n’avions pas de livres à la maison), je passais des journées entières à lire. Cette activité faisait rager ma mère. Elle répétait que j’étais « ennuyant comme la pluie », que « j’étais muet comme le caveau à patates ». Peut-être que je lisais avec acharnement pour oublier qu’elle parlait tout le temps. 

Il y a quelque chose d’émouvant dans les textes de Donald Alarie, un aspect intime qui me touche. L’impression qu’il me fait des confidences et qu’il ne s’adresse qu’à moi et à aucun autre lecteur. Je m’avance dans les premières pages et je me mets à hocher la tête, comme s’il était devant moi et qu’il me parlait avec son sourire particulier. Cette écriture me touche même si on dirait que l’écrivain s’excusait d'attirer mon attention et de me déranger.
Pourtant Donald Alarie est loin de fuir ses émotions, sa vie, ses amours et ses déceptions. Il aborde tout ce qu’un homme affronte de regrets, d’échecs, de découvertes avec un petit quelque chose de singulier. La mort de sa compagne par exemple. C’est certainement pourquoi je suis un lecteur sur qui il peut compter. Il était mon ami avant même que je ne le rencontre dans un salon du livre. Et il a fallu quelques secondes à peine pour que l’on discute comme de vieilles connaissances. C’était peut-être ce que nous étions sans que jamais nos chemins ne se soient croisés.
J’ai toujours l’impression que je dois prendre tout mon temps, m’attarder à une phrase, la caresser comme je le fais avec ma chatte multicolore qui est une insatiable. Voilà ma manière de me laisser emporter par son souffle, sa façon d’effleurer les heurts de la vie sans pousser de cris pour ameuter le voisinage. Alarie possède un art particulier que je n’aurai jamais.

HISTOIRES

J’aime quand il me guide dans son enfance et me fait suivre le petit garçon curieux, vivre ses premiers moments à l’école et l’apprentissage des autres et de soi. Ces moments qui ont fait de nous des humains rebelles ou des hommes paisibles. L’enfance dit tout. Qu’aurait été l’écriture de Gabrielle Roy sans sa vie familiale au Manitoba ou encore l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu sans ce départ forcé pour la grande ville alors qu’il était adolescent. Il a eu la certitude alors que l’univers se fracturait.

Que deviendrait ma vie ? Je ne voyais pas comment modifier le cours des choses. On pouvait faire des stages dans des cliniques pour se libérer de la drogue ou de l’alcool. Consulter des psychologues spécialisés dans ces traitements. Participer aux réunions des AA et se trouver un guide. Mais pour quelqu’un d’accro à la lecture comme moi, on ne pouvait rien faire. Et c’était tant mieux ! (p.115)

Ces livres qui m’ont tellement fasciné quand je me suis assis pour la première fois dans une salle de classe. Et puis un jour, après des efforts, la surprise de se rendre compte que les mots nous livrent des secrets. Comme si on s’était acharné pendant des jours à faire glisser une clef dans une serrure. Et puis là, ça y est. La clef tourne et la porte s’ouvre sur un monde. Parce que savoir lire, c’est se permettre tous les voyages, toutes les aventures, devenir tous les personnages et de franchir les époques en un claquement de doigts. C’est comme ça que je me suis retrouvé en Russie à dix-sept ans, lisant Léon Tolstoï et son incroyable roman Guerre et paix, me prenant tour à tour pour un cosaque sur les champs de bataille ou encore un jeune soupirant qui n’osait pas bouger dans les somptueux salons de Saint-Pétersbourg, étourdi par le froissement des robes de soie. La lecture, la plus grande machine à voyager dans le temps.
Je suis certain que Donald Alarie aurait partagé ma joie quand le plus beau moment de la journée arrivait enfin à l’école Numéro Neuf de La Doré. Cette dernière heure de l’après-midi où Mademoiselle sortait le grand volume cartonné. C’était notre livre sacré. Parfois, c’était elle qui lisait, souvent un élève qui savait patiner sur les phrases et donner sa voix aux personnages. J’étais souvent l’un de ceux-là. Un gros roman qui nous faisait rêver et inventer des jeux dans la cour de récréation. Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville paru en 1874. Ce livre m’a ouvert les gouffres de la lecture et a fait de moi un lecteur insatiable.

AVENTURE

Donald Alarie lisait des Bob Morane. Je n’ai lu que Le retour de l’ombre jaune. Tous les garçons de la classe se disputaient les exemplaires disponibles à la bibliothèque. J’étais un lecteur original. Il y avait une petite pochette à l’intérieur de la quatrième de couverture. Là se trouvait une fiche que l’on devait remplir pour repartir avec le livre. Écrire son nom et la date. Je regardais la fiche et quand personne n’avait emprunté le livre, c’était pour moi. C’est ainsi que j’ai lu une étude de Séraphin Marion portant sur l’œuvre d’Émile Nelligan. Je crois bien n’avoir pas trop compris de quoi il était question. Je choisissais peut-être un peu mes titres pour épater la classe et mes amis. Heureusement, cela a vite changé et j’ai appris beaucoup de la lecture de ces écrits ignorés.
 
Je suis allé saluer Michel. Il m’a promis de m’écrire. Il me donnerait sa nouvelle adresse plus tard. Il m’a offert deux bandes dessinées en cadeau. Puis il m’a tendu un autre livre en disant : « C’est de la part de ma mère. Elle en avait deux exemplaires et elle tenait à t’en offrir un. Tu pourras le lire un jour… » C’était Rue Deschambault, de Gabrielle Roy. Quelques années plus tard, en le lisant, j’aurais l’impression d’entendre une confidente me chuchoter à l’oreille des histoires pleines de tendresse. (p.28)

C’est ainsi que j’ai découvert La Minuit de Félix-Antoine Savard, Félix Leclerc, son magnifique Pieds nus dans l’aube, Léo-Paul Desrosiers et Les Engagés du Grand Portage, dans la belle collection Nénuphar de Fides. Ce roman m’a tellement fait rêver. J’ai dû le lire quatre ou cinq fois, copiant les passages où il était question des nations indiennes.
Je n’ai pas fait mon cours classique comme Donald Alarie, allant d’un bord et de l’autre dans un parcours scolaire plutôt sinueux. Heureusement, il y a toujours eu des livres. La poésie de Rimbaud et de Baudelaire que nous découvrions par fragments au collège parce que nous n’avions pas droit à l’intégralité des poèmes. La censure des frères Maristes n’était pas une rumeur. J’ai même failli me faire confisquer Les misérables de Victor Hugo par le frère bibliothécaire, le premier roman que j’ai acheté. Ce fut plus tard, à l’université que j’ai pu lire Les fleurs du mal et Une saison en enfer.

LA VIE

Les études. Un exil difficile pour moi que de passer du village à Montréal. Pour Donald Alarie, les migrations ont toujours eu lieu à l’intérieur des frontières de sa ville même si cela peut être bouleversant.
Les grandes amitiés que l’on était certain d’avoir pour toujours s’effritent alors. Et il y a le travail plus tard, les amours et nous perdons de vue des garçons avec qui nous étions du matin au soir. La mort, un accident et celui qui était comme votre bras droit n’est plus.

Un jour, durant la récréation, j’ai aperçu un garçon étendu par terre. Il y avait du sang près de sa tête. Il avait fait une mauvaise chute et sa tête avait heurté l’asphalte. Je me suis éloigné, effrayé. Le surveillant est intervenu. On a transporté le blessé à l’intérieur. Puis une ambulance est venue le chercher. Le lendemain, on nous a appris qu’il était mort à l’hôpital. Il n’avait que neuf ans. Il se nommait Pierre. J’ignorais qu’on pouvait mourir à cet âge. (p.16)

Les parents vieillissent, luttent contre la maladie ou encore foncent dans leur vieillisse avec une colère qui ne s’est jamais démentie chez ma mère.
C’est ce que j’aime chez Donald Alarie. Cet écrivain me porte à la confidence,  à parler de moi et de lui par ricochet. Son texte est comme une main tendue. Vous la prenez et vous allez dans un parc, vous asseoir sur un banc, pour mieux regarder le jour s’étirer et surveiller, le sourire aux lèvres, les agitations des hommes et des femmes. C’est cette intimité que je retrouve chaque fois dans un livre de Donald Alarie. Il m’entraîne dans son monde et me fait mieux voir le mien. Il me permet toujours une réflexion qui me pousse dans des sentiers que je ne cesse d’explorer. Peu d’auteurs réussissent cet exploit et c’est ce qui me fait dire que Donald Alarie est un écrivain important, essentiel, unique.


PUIS NOUS NOUS SOMMES PERDUS DE VUE de DONALD ALARIE, une publication des ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE.